Alors que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) célèbre cette année son cinquantième anniversaire, un vent glacial souffle sur la coopération régionale. Réunis à Accra pendant deux jours, les ministres de la CEDEAO ont entamé un processus inédit : planifier, sur fond de tensions géopolitiques, le retrait formel du Mali, du Niger et du Burkina Faso, les trois piliers de l’Alliance des États du Sahel (AES).
Ce conseil extraordinaire, qui aurait dû préparer les festivités du jubilé d’or de l’organisation, se transforme en terrain de séparation. Car depuis que Bamako, Niamey et Ouagadougou ont officialisé leur retrait en janvier 2024, les rapports entre la CEDEAO et l’AES ne cessent de se détériorer, exposant au grand jour une fracture idéologique sur l’avenir de l’intégration ouest-africaine.
« Il est temps de sonner la récréation », a lancé Omar Alieu Touray, président de la commission de la CEDEAO, en appelant à un examen technique et juridique du retrait. Mais derrière cette formule se cache un malaise plus profond : celui de la coexistence impossible entre une CEDEAO fidèle à des principes de gouvernance démocratique et une AES regroupant des régimes militaires assumés.
CEDEAO-AES: Un divorce aux conséquences multiples
À huis clos, les ministres discutent des modalités techniques du retrait : gestion du personnel, implications juridiques, accords commerciaux, coopération sécuritaire. L’exercice est inédit, et révèle à quel point la CEDEAO – longtemps présentée comme l’une des organisations régionales les plus avancées du continent – se retrouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
« Ce n’est jamais le vœu de quiconque ici présent que ce jour arrive », a regretté le ministre nigérian des Affaires étrangères, Yusuf Maitana Tuggar, évoquant une communauté fraternelle qui se fissure sous le poids de crises politiques et sécuritaires.
Mais au-delà des procédures, c’est un choc de trajectoires qui se joue : d’un côté, la CEDEAO défend une approche centrée sur la diplomatie, les sanctions ciblées et la pression pour un retour à l’ordre constitutionnel ; de l’autre, l’AES prône une souveraineté assumée, une coopération sécuritaire renforcée entre régimes militaires, et un rejet affiché des « ingérences étrangères ».
La Guinée, l’absente qui intrigue
Étrangement, la Guinée, elle aussi dirigée par une junte militaire, ne figure pas à l’ordre du jour des discussions. Aucun représentant de Conakry n’était présent à Accra, une absence remarquée alors qu’une mission d’évaluation de la CEDEAO s’est récemment rendue sur place.
Faut-il y voir un signal d’apaisement ou une prudente mise à l’écart ? Là encore, les lignes semblent floues, comme si l’organisation cherchait à éviter une rupture brutale avec Conakry tout en maintenant la pression sur l’AES.
Vers une recomposition régionale ?
Alors que les projecteurs sont braqués sur les négociations techniques, une autre question émerge : la CEDEAO peut-elle rester ce moteur de l’intégration régionale dans un espace aussi divisé politiquement ? Le départ de trois États membres n’est pas qu’une crise passagère. Il cristallise une recomposition plus large, où la solidarité régionale se heurte à des choix souverains divergents.
Le 28 mai, la CEDEAO fêtera ses 50 ans. Mais le visage de l’Afrique de l’Ouest qu’elle portait à sa création en 1975 semble aujourd’hui bien éloigné des réalités du Sahel.
Le défi est désormais de taille : réinventer une coopération régionale capable de survivre à la tempête.