Une visite de haut niveau effectuée par une délégation européenne en Libye s’est soldée par un revers diplomatique majeur, après que les autorités de l’Est libyen ont refusé l’accès à plusieurs hauts responsables européens. Les ministres de l’Intérieur de l’Italie, de la Grèce et de Malte — Matteo Piantedosi, Thanos Plevris et Byron Camilleri — ainsi que le commissaire européen chargé des migrations, Magnus Brunner, ont été déclarés persona non grata sur le territoire placé sous le contrôle du gouvernement de l’Est.
L’incident s’est produit peu après leur arrivée à Benghazi, où les responsables européens ont été priés de repartir immédiatement. Dans un communiqué, Osama Hammad, chef du gouvernement parallèle basé à l’Est, a accusé la délégation d’avoir violé les usages diplomatiques établis et d’avoir agi en mépris manifeste de la souveraineté nationale, en ne sollicitant pas l’autorisation préalable des autorités locales.
Une diplomatie à deux vitesses dans une Libye fracturée
Le différend découle d’un contexte institutionnel particulièrement complexe. Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est divisée entre deux gouvernements rivaux : à l’Ouest, celui de Tripoli, reconnu par la communauté internationale et dirigé par Abdel Hamid Dbeibah, et à l’Est, une administration soutenue par le maréchal Khalifa Haftar.
Les autorités de Benghazi reprochent à la délégation européenne d’avoir entamé leur mission par une escale à Tripoli, sans concertation préalable avec l’Est, ce qui constitue, selon elles, une violation des règles de souveraineté et de coordination inter-administrative.
Des sources locales précisent que toute visite étrangère devrait faire l’objet d’une coordination avec les deux autorités, ce qui n’aurait pas été pleinement respecté.
La mission européenne visait à renforcer la coopération migratoire avec la Libye, dans le cadre des efforts de l’Union européenne pour freiner les flux migratoires en Méditerranée centrale. La Libye, en tant que principal point de départ vers l’Europe pour de nombreux migrants africains, reste un partenaire clé — mais instable — dans la stratégie migratoire de l’UE.
Le vice-Premier ministre grec, Kostis Hadzidakis, a confirmé que si les échanges à Tripoli s’étaient déroulés comme prévu, le refus de l’Est est intervenu « en réaction » à cette première étape. « Ce n’est pas une décision constructive », a-t-il regretté, soulignant l’engagement européen à trouver des solutions équilibrées face à la complexité du dossier migratoire.
Du côté européen, la réaction a été mesurée. Le commissaire Magnus Brunner a évité toute polémique dans sa communication publique, se contentant d’indiquer que « les réunions prévues à Benghazi n’avaient pu se tenir ».
En revanche, l’affaire a provoqué des réactions politiques en Europe, notamment en Italie. Matteo Orfini, député du Parti démocrate, a ironisé sur le renvoi du ministre Piantedosi, critiquant la politique migratoire restrictive du gouvernement Meloni :
« Piantedosi expulsé de Libye pour entrée illégale : je voulais faire une remarque ironique, mais cela se passe de commentaire. »
Au-delà de l’incident, ce revers diplomatique met en lumière les fractures institutionnelles profondes en Libye, où chaque camp revendique une légitimité exclusive. Il souligne également les obstacles persistants à toute démarche internationale, même sur des questions consensuelles comme la gestion des migrations.
Cet épisode confirme que toute initiative étrangère en Libye reste tributaire d’un équilibre diplomatique fragile, où la reconnaissance politique, la coordination territoriale et le respect des souverainetés régionales conditionnent le succès de toute coopération.